Notre perception de l’œuvre de Taniguchi Jiro repose sur une série d’idées reçues, tant les titres de cet auteur disponibles en langue française, pourtant de plus en plus nombreux, ne permettent guère d’appréhender la richesse de sa production. L’erreur consisterait à enfermer Tanaguchi dans la cage, certes dorée, d’une improbable « bande dessinée d’auteur japonais», bien peu représentative de la démarche et de la diversité des registres abordés par ce touche à tout de talent.
Car si Tanaguchi a acquis en France une relative notoriété grâce à des œuvres explorant la représentation du quotidien, c’est dans le registre animalier et celui du polar qu’il s’illustre à ses débuts. Il entame sa carrière de dessinateur en 1972, après avoir été l’assistant du mangaka Ishikawa Kyuta, et se lance alors dans des histoires mettant en scène des animaux sauvages. Devant le peu de succès recueilli par ces courts récits, le jeune auteur se tourne vers le gekiga et fait en 1975 une rencontre cruciale en la personne du journaliste et écrivain Sekikawa Natsuo. Ensemble, ils se lancent dans plusieurs récits de type « hard boiled » : Hotel Harbour view, Lindo 3 ou encore Trouble is my buisness, hommage au roman noir américain et somment de leur collaboration dans ce registre.
L’année 1986 voit le début de la publication au sein du périodique Action Comics des épisodes d’Au temps de Botchan. Cette évocation du Japon à l’orée du XXe siècle, à nouveau réalisée en collaboration avec Sekikawa, met le dessinateur sur la voie d’un style graphique plus épuré et d’un mode de récit fondé sur le quotidien. Parallèlement à l’élaboration des cinq volumes qui composeront cette série, le mangaka aborde des types de récits radicalement différents : science fiction (Chikyu hyokai jiki), épopée historique (kaze no Sho, avec Furuyama Kan), histoire d’alpinisme (K) ou encore chronique animalière (Inu o Kau).
C’est en 1992 que l’auteur entame la publication dans la revue Morning des épisodes qui composeront l’Homme qui marche. Avec ces déambulations d’un homme dans le Japon d’aujourd’hui, Taniguchi Jiro accomplit un véritable tour de force : nous faire ressentir, de manière purement visuelle, des sentiments aussi subjectifs que la beauté d’un instant ou la saveur des petites choses du quotidien. Une réussite incontestable que cette œuvre expérimentale, que nous découvrons en France, en 1995.
C’est ainsi qu’au fur et à mesure, se fait nettement jour, au sein de l’œuvre de Taniguchi, une distinction entre des histoires orientées vers la représentation de l’intime et, d’autre part, des mangas tournés vers l’action. Une dialectique qui correspond à la recherche d’un équilibre, les seconds étant nécessaire afin d’évacuer la pression et le stress accumulés sur les premières. Ainsi, Taniguchi a-t-il pu, dans la seconde moitié des années 90, faire alterner deux jolies variations sur le retour d’un homme vers sa ville natale (Le Journal de mon Père, Quartier Lointain) avec un manga mettant en scène les tribulations d’un amateur de bonne chaire (Kodoku no gurume), jusqu’à illustrer, brillamment, un scénario fantasmagorique de notre Moebius national (Icar).
A l’heure actuelle, Taniguchi occupe une place à part au sein du paysage du manga japonais. Outre l’extrême diversité de sa production, il a travaillé pour plusieurs dizaines d’éditeurs différents, dont les trois plus important au Japon : Shogakugan, Kodansha et Shueisha. C’est pour ce dernier qu’il réalise, en collaboration avec Yumemakura Baku, une impressionnante saga d’alpinisme, Kamigami no itadaki (Le Sommet des Dieux), qui évoque une fois de plus la confrontation entre l’Homme et la nature sauvage. Véritable maître de la narration en images, Taniguchi a été récompensé par deux prix lors du festival d’Angoulême : en 2003 pour Quartier Lointain et en 2005 pour Kamigami no itadaki.
Oeuvres:
1979 : Lindo 3!
1980 : Muboushi Toshi -(Ville sans Défense)
1980 : Ooinaru Yasei - (Great Wilderness)
1981 : Jiken Ya Kagyou - Trouble is my Business
1982 : Blue Fighter (Ao no Senshi)
1982 : Hunting Dog
1983 : Knuckle Wars – The Fist of Rebellion (Nakkuru – Ken no Ran)
1983 : Shin Jiken Ya Kagyou - New Trouble is my Business
1983 : Live! Odyssey
1984 : Seifuu Ha Shiroi (Le Vent d'Ouest est Blanc)
1984 : Rudo Boy
1985 : Enemigo
1986 : Hotel Harbour View
1986 : Blanca - Le Chien Blanco
1987 : Botchan no Jidai - Au Temps de Botchan
1988 : K
1988 : Ice Age Chronicle of the Earth
1990 : Gen Juiten - L'Encyclopédie des Animaux Préhistoriques
1990 : Garouden (Hungry Wolves Legend)
1991 : Samurai Non Grata
1992 : Aruku Hito - L’Homme qui Marche
1992 : Kaze No Sho - Le Livre du Vent
1992 : Inu wo Kau - Terre de Rêves
1993 : Keyaki no Ki - L’Orme du Caucase
1994 : Into the Forest (Mori He)
1994 : Chichi no Koyomi - Le Journal de mon Père
1996 : Benkei in New York
1996 : Blanca II (Dog of God)
1997 : Kodoku no Gurume - Le Gourmet Solitaire
1998 : Haruka Na Machi He - Quartier Lointain
1999 : Tokyo Genshi Gyou
1999 : Sousaku Sha - Quest for the Missing Girl
2000 : Ikaru - Icare
2000 : Kami no Sanrei - Le Sommet des Dieux
2002 : Ten no Taka - Sky Hawk
2004 : Toudo no Tabibito - The Ice Wanderer
2005 : Seton
2005 : Hare Yuku Sora - Un Ciel Radieux
2006 : Sampo Mono - (Le Promeneur)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire